
Il existe des chansons qui nous accompagnent, parfois sans que nous en soyons conscients. Des mélodies qui traversent les années, qui semblent ancrées dans un passé révolu, mais qui finissent par devenir nôtres. Ces chansons, on les entend dès l'enfance. On les déteste, on les supporte, parce qu’elles font partie de cet univers d'adultes qu’on peine à comprendre. Et puis, un jour, ces mêmes chansons résonnent différemment. Elles deviennent des souvenirs. Des souvenirs qui ont traversé les générations et que, sans même y penser, on transmet à notre tour.
Je me souviens de “Maze” de Tabu Ley Rochereau, une chanson qui a marqué mon enfance. Quand j’étais petite, cette chanson me semblait être une sorte de torture. Elle passait constamment chez mes parents, la chanson préférée de ma mère résonnait dans la maison, m’enveloppait dans une langue que personne ne comprenait, d’un pays qui n’était pas le notre. La rumba congolaise, cette musique d’ailleurs, m’était étrangère, mais elle faisait déjà partie de mon quotidien, de cet héritage immatériel. Et pourtant, aujourd’hui, je me surprends à chanter cette chanson. Sans jamais chercher à comprendre les paroles, ni être certaine qu’elles soient exactes. Parce qu’au-delà des mots, il y a cette émotion qui me parle, cette mélodie qui semble capturer une partie de moi.
Ce qui était un fardeau de mon enfance, devenu plus qu’une chanson, s'est transformé en une sorte de passage, un héritage transmis sans même y prêter attention. C’est fascinant de constater à quel point la musique possède ce pouvoir étrange : elle transporte des choses qu’on ne comprend pas immédiatement, mais qui, avec le temps, sans qu’on s’en rende compte, nous transforment. Elle nous marque de manière indélébile, et, sans vraiment savoir pourquoi, nous finissons par l’apprécier.
Ce qui me frappe, c’est que cette chanson, malgré la distance culturelle et géographique, m’a parlé de mon Afrique, de nos déménagements, de moi qui prie pour que la musique s’arrête, de mes parents, de ma fratrie, de quelque chose d’invisible et d’universel. Elle a traversé des frontières, des générations, et s’est inscrite dans mon esprit, dans mon cœur, pour devenir ma madeleine de Proust. Elle m’a appris, sans le savoir, à relier des mondes différents, des époques différentes, et à en faire partie.
La musique comme héritage
Aujourd’hui, dès que j’entends cette chanson, je suis transportée dans un autre espace-temps et les plus de 10 minutes qu’elle dure me semblent trop courtes.
Certaines chansons, comme des traces laissées dans le sable, nous suivent. Elles sont transmises par ceux qui nous précèdent, et au fil des années, elles changent de sens, de forme, mais gardent leur essence. Ce qui, pour nous, était une torture enfantine devient un trésor du passé, que l'on ne veut pas oublier, qu’on ne peut pas oublier et qu'on veut transmettre à son tour.
Il y a quelque chose de profondément beau dans cette idée : qu’une chanson, un air, puisse porter à la fois un héritage familial, culturel, universel, tout en étant un souvenir personnel, une clé d’émotions oubliées. Elles sont plus que des paroles plus que des mots, plus que des sons, plus que des melodies. Cela explique pourquoi, dans certaines contrées, elles sont interdites. Elles nous rendent libres, elles sont les clés d’un monde où rien ne peut plus nous atteindre.
Et vous, quelles sont ces chansons de votre enfance qui vous reviennent à l’esprit, celles que vous chantiez sans comprendre, mais qui vous marquent à jamais ?
D.